La diversité linguistique, pilier de l’unité nationale : il ne faut pas manipuler les termes à des fins populistes

Par Oumar Moctar Alansary, écrivain et homme politique nigérien
Depuis la clôture des prétendues Assises nationales, au cours desquelles le gouvernement du Conseil militaire a affirmé avoir publié un mémorandum de refondation de la République, incluant notamment l’article 12, l’administration militaire de transition a adopté des politiques qui menacent la cohésion sociale par une manipulation délibérée des concepts linguistiques. Cet article 12 énumère les langues en usage dans le pays : l’arabe, le buduma, le fulfulde, le gourmantchéma, le haoussa, le kanuri, le tagdalt, le tamacheq, le tasawaq, le tubu et le zarma-songhaï. Cependant, il désigne le hausa comme « langue nationale » et classe le français et l’anglais comme langues de travail, une classification exacerbée par les décisions gouvernementales de mars 2025. Cette approche révèle une double manipulation : premièrement, la division des langues locales en nationales et non nationales, ce qui menace l’identité des communautés et fait craindre une privation future de la citoyenneté pour leurs locuteurs ; deuxièmement, la qualification du français comme « langue de travail » alors qu’il demeure la langue officielle de facto, dans une démarche populiste qui ne modifie pas la réalité. En tant que démocrate nigérien, je critique ces politiques clivantes et appelle à une politique linguistique équitable, célébrant la diversité du Niger tout en soutenant ses aspirations nationales et internationales.
Première manipulation : diviser les langues locales et menacer l’identité nationale
Qualifier exclusivement le hausa de « langue nationale » dans l’article 12, comme réaffirmé par les décisions du gouvernement militaire, constitue une manipulation dangereuse des termes. Cette classification insinue implicitement que les autres langues locales — telles que le tamajaq, le fulfulde, le zarma-songhaï et l’arabe — ne sont pas nationales, bien qu’elles soient les langues des peuples autochtones du Niger, incarnant son histoire et son patrimoine.
La langue est un pilier de l’identité nationale ; lui retirer son caractère national pave la voie à la marginalisation de ses locuteurs et fait planer le risque, à terme, d’une privation de leur citoyenneté, car l’absence de reconnaissance nationale d’une langue entraîne, logiquement et politiquement, celle de ses locuteurs.
La majorité du peuple nigérien, y compris les locuteurs d’autres langues, ne s’oppose pas à l’officialisation du hausa comme langue nationale ou langue de travail officielle. Au contraire, ils soutiennent vigoureusement cette démarche, considérant le hausa comme une langue nationale authentique, représentative du Niger, contrairement au français, héritage de l’ère coloniale.
Cependant, ce qui suscite leur indignation est la privation du statut national de leurs langues locales, qui les fait se sentir exclus de l’identité nationale et menace leur intégration dans le projet national. Le Tamacheq, langue séculaire des Touaregs, le fulfulde, langue des Peuls largement répandue, et le zarma-songhaï, langue de la civilisation du fleuve, sont tout autant nationales que le hausa. Leur marginalisation alimente les divisions ethniques et culturelles, ravivant les tensions historiques, comme les soulèvements touaregs, dans un pays qui a plus que jamais besoin d’unité.
Deuxième manipulation : le français comme « langue de travail » dans une manœuvre populiste
La deuxième manipulation réside dans la qualification du français comme « langue de travail » et la persistance du gouvernement militaire à promouvoir ce terme après la décision de mars 2025, qui a réduit son statut au profit du hausa. Le français, langue officielle depuis l’indépendance, domine l’administration, l’éducation et la justice. Le qualifier de « langue de travail » ne change rien à sa prédominance réelle ; il s’agit d’une manœuvre populiste suggérant une « libération » de l’héritage colonial sans réformes substantielles. Cette manipulation trompe le peuple, car elle ne se traduit pas par une promotion des langues locales dans l’éducation ou l’administration, mais maintient le statu quo sous un nouveau nom.
En revanche, nous soutenons l’inclusion de l’anglais comme langue de travail, malgré sa faible diffusion actuelle. L’anglais, langue scientifique et globale, offre des perspectives prometteuses dans les domaines techniques, scientifiques et économiques. Son adoption renforce la capacité du Niger à s’intégrer dans l’économie mondiale et permet à la jeunesse d’accéder à des opportunités éducatives et innovantes. Toutefois, ce soutien ne justifie pas la manipulation des termes concernant le français à des fins propagandistes. Plutôt que de modifier les appellations, le gouvernement aurait dû investir dans des programmes éducatifs enseignant les langues locales aux côtés de l’anglais et développer des médias dans des langues comme le tamajaq et le fulfulde.
Solution politique : une politique linguistique équitable et inclusive
Pour contrer ces deux manipulations, j’appelle à une réforme de l’article 12 afin d’ancrer la justice linguistique et de soutenir les ambitions nationales et internationales du Niger. Je propose la rédaction suivante de l’article 12, qui unit le peuple nigérien et ne le divise pas :
Article 12 :
a) Les langues nationales en usage au Niger sont : l’arabe, le buduma, le fulfulde, le gourmantchéma, le hausa, le kanuri, le tagdalt, le tamajaq, le tasawaq, le tubu et le zarma-songhaï.*
b) La langue officielle est : le hausa.*
c) Les langues de travail sont : l’anglais « à l’avenir » et le français « temporairement ».*
*d) D’autres langues nationales pourront être officialisées ultérieurement sur la base de considérations٠ historiques, culturelles et académiques.
Cette rédaction atteint plusieurs objectifs:
Consacrer l’unité nationale : en classant toutes les langues locales comme nationales et égales, cette formulation réaffirme le respect de l’identité de chaque communauté, prévenant l’exclusion et protégeant la citoyenneté de leurs locuteurs.
Renforcer le hausa comme langue officielle : reconnaître le hausa comme langue officielle reflète sa large diffusion et son authenticité nationale, répondant aux aspirations du peuple qui soutient son officialisation comme alternative nationale au français.
Équilibrer réalités et ambitions : maintenir le français comme langue de travail « temporairement » reconnaît son rôle administratif actuel tout en signalant son caractère transitoire pour s’affranchir progressivement de l’héritage colonial. Inclure l’anglais « à l’avenir » traduit l’ambition d’un progrès scientifique et d’une intégration globale, tout en laissant le temps de développer des programmes éducatifs pour en accroître l’usage.
Flexibilité future : stipuler l’officialisation potentielle de langues nationales supplémentaires sur des critères historiques, culturels et académiques témoigne d’un engagement envers l’inclusivité et ouvre la voie à l’évolution de la politique linguistique au service de la diversité.
La mise en œuvre de cette rédaction nécessite un dialogue national inclusif réunissant des représentants de toutes les communautés linguistiques. Ce dialogue doit se concentrer sur le renforcement de l’éducation multilingue, le soutien aux médias locaux dans les langues nationales et le développement de programmes pour l’enseignement de l’anglais dans les secteurs techniques. Ces mesures démontreront un engagement envers l’unité nationale et le progrès scientifique, tout en épargnant au Niger les risques de division culturelle.
Conclusion : la langue au service de l’unité et du progrès
Diviser les langues locales en nationales et non nationales et manipuler la qualification du français comme « langue de travail » à des fins populistes sont des stratégies qui menacent l’unité nationale et compromettent les ambitions du Niger. En tant que démocrate, j’exhorte le gouvernement militaire à adopter la rédaction proposée de l’article 12, qui honore toutes les langues nationales, promeut le hausa comme langue officielle, maintient temporairement le français comme outil administratif et intègre l’anglais comme pont vers le progrès scientifique. Le Niger est le foyer de toutes ses langues et cultures, et sa force réside dans sa diversité et son ambition. Œuvrons ensemble pour bâtir une nation fière de son patrimoine et tournée vers un avenir uni et prospère.
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